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Jean-Pierre Rosenczveig

A l'occasion de la parution de la nouvelle édition du jeu «Place de la loi Junior», découvrez l'interview de Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal pour enfants de Bobigny et auteur de ce jeu, en collaboration avec l'APCEJ (Association pour la Promotion de la Citoyenneté des Enfants et des Jeunes).



Pour plus d'informations sur la nouvelle édition du jeu «Place de la loi Junior» (Hors série Giboulées), cliquez ici.

Comment vous est venue l’idée de créer le jeu Place de la loi Junior ?

La loi a la réputation d’être une matière ésotérique. En tout cas, elle rebute. Il fallait donc avoir une démarche a priori moins rébarbative. Et pourquoi pas ludique ? D’où l’idée d’un jeu, qui donne en plus la possibilité de réunir autour d’une même table des enfants et des adultes, car notre vraie cible ce sont les adultes, qui censés être porteurs de la loi, mais qui souvent ne la connaissent pas. Du reste, ils ne l’ont jamais apprise. Ils fonctionnent avec l’idée qu’ils s’en font !
Le jeu estompe leurs lacunes, les décomplexe. Ignorants des réponses, avec toujours un qui dit blanc quand l’autre répond noir, ces adultes doivent réfléchir à ce que pourrait être la réponse. Ils remontent alors aux grands principes et à l’idée qu’ils s’en font. Un débat se noue autour de la table sur les valeurs qui fondent ou doivent fonder la loi. On est au cœur du projet : aborder entre adultes et enfants les questions de société dont la loi n’est que le révélateur, par exemple la violence ou le respect de l’autre.
Au passage, les adultes qui « jouent le jeu » démontrent aux enfants que, quand un adulte responsable ne sait pas, il ne démissionne pas, mais réfléchit pour approcher la réponse.
Le jeu permet aussi d’aborder des questions qu’on n’oserait pas traiter en d’autres circonstances. Par exemple, on voit très bien un enfant tirer une carte et demander aux adultes : « C’est quoi, être pédophile ? ». On comprend donc pourquoi ce jeu ne peut pas se passer de la présence des adultes. Il ne s’agit pas d’apprendre la loi – ce n’est pas un cours de droit – mais, partant de la loi, de nouer un dialogue entre adultes et enfants sur la vie quotidienne.

Y a-t-il urgence à sensibiliser les enfants à la connaissance de la loi ?

Oui, car le discours ambiant est de résumer la loi à des interdits quand elle est d’abord une somme de libertés. La loi protège plus qu’elle ne contraint et quand elle contraint, c’est bien dans l’intérêt de chacun et de tous.
La loi n’est pas que pénale ou disciplinaire. On est libre d’exercer des droits, puis on engage sa responsabilité. Toutefois là encore, ce ne sont pas seulement les enfants qui sont sensibilisés à la loi, mais aussi les adultes qui sont autour de la table (parents, enseignants, travailleurs sociaux et animateurs).

Comment ont évolué les droits de l’enfant durant ces dernières décennies ?

Il faut d’abord rappeler qu’on appelle enfant la personne de moins de 18 ans, et pas seulement le jeune de 8 à 12 ans ! En un siècle, la loi est parvenue petit à petit à reconnaître les droits de l’enfant, en premier lieu le droit à être protégé, mais aussi celui d’exercer ses droits au quotidien. Dans la représentation de chacun, un enfant se doit d’obéir et il est protégé par ses parents. Mais il peut être aussi acteur de ses droits.
L’enfant est une personne (cf. Françoise Dolto) et, comme toute personne, il jouit des droits fondamentaux de la personne (le droit d’être entendu en justice, la liberté de conscience et de religion, etc.) et de droits spécifiques (celui de ne pas être privé de ses parents…) ou renforcés (éducation et soins). Je vous renvoie à la lecture de la Convention internationale relative des droits de l’enfant (CIDE), adoptée par l’ONU le 20 novembre 1989 et ratifiée par la France.
L’enfant a le droit d’avoir un point de vue sur ce qui le concerne et de l’exprimer (par exemple quand ses parents se séparent). Dans certains cas, il décide même de son propre sort (par exemple lors de son adoption). Qui sait qu’un enfant peut porter plainte au commissariat sans être accompagné, ou saisir un juge des enfants pour être protégé ? Qui sait qu’un enfant peut accomplir les actes de la vie courante, comme acheter un bien adapté à son âge ?

Dans votre jeu, il existe quatre experts de la loi : deux hommes (le commissaire de police et le maire) et deux femmes (la principale du collège et la juge). Est-il important pour vous de promouvoir la parité dans ce domaine ?

Oui et non, cela est allé de soi. Les fonctions sociales ne sont plus aujourd’hui sexuées. Pourquoi poser des problèmes là où il ne doit plus y en avoir ? Hommes et femmes peuvent exercer les mêmes responsabilités.

Pourriez-vous nous expliquer le choix de la profession de ces quatre « Experts de la loi » ?

Chacun, dans son domaine, incarne la loi, la porte et veille à son respect. Nous avons pris des exemples bien connus des enfants. On aurait pu prendre d’autres professions, par exemple le pilote d’avion : tout pilote a intérêt à connaître les règles, à les respecter, et à faire sa check-list avant de décoller ! Les professions choisies incarnent des grandes fonctions sociales : la justice, l’administration, etc.

Quelles qualités vous paraissent essentielles pour exercer le métier de juge pour enfants ?

Il faut d’abord connaître la loi et la justice : avant d’être juge des enfants, on est magistrat. Ce métier requiert aussi une grande capacité d’écoute et un équilibre personnel pour supporter la charge émotionnelle de certaines situations.
Ensuite, on doit être imaginatif pour trouver des réponses qui vont souvent au-delà d’un simple rappel de la loi. Le juge des enfants ne travaille pas qu’avec la loi, mais avec les parents, les enfants et les institutions sociales, aussi bien pour l’enfant en danger que pour l’enfant délinquant.
Puis il faut inscrire ses actions dans la durée et ne pas tomber dans la compassion mais rechercher plutôt, derrière les dires et les apparences, les jeux de pouvoir et les motivations réelles de chacun.
Enfin, il est surtout impératif d’avoir confiance dans l’avenir et dans la capacité d’un enfant et de ses parents à «s’en sortir».

Pouvez-vous nous citer les droits fondamentaux de l’enfant que « Place de la loi » pourrait contribuer à mieux faire connaître ?

Le jeu n’est pas centré sur les droits de l’enfant. C’est une thématique parmi d’autres. On y évoque les institutions de la République et de l’Europe, les questions de vie quotidienne, de citoyenneté, de famille, etc.
Il est important que les enfants sachent qu’ils ont des droits (par exemple, s’exprimer individuellement ou collectivement dans des associations), qu’ils peuvent aussi engager très tôt leur responsabilité pénale, civile et disciplinaire s’ils commettent des fautes, voire des erreurs.
Et les adultes ont des obligations à leur égard. Ils doivent notamment les préparer à exercer leurs droits. «Tu as le droit de t’exprimer, mais pas d’injurier ou de diffamer !»
Dire que les enfants ont des droits ne veut pas dire que comme adulte je n’ai plus de responsabilités à leur égard !

Enfin, de quelle façon l’Association pour la promotion de la citoyenneté des enfants et des jeunes (APCEJ) intervient-elle dans le domaine scolaire ?

Par exemple en animant le jeu Place de la loi avec des enseignants et des enfants autour de la table, en faisant des interventions sur des sujets qui préoccupent enseignants, parents et enfants, ou encore en organisant des « Procès reconstitués » que les enseignants préparent avec leurs élèves après une première intervention de l’APCEJ sur la loi et la justice. Le jour venu, on joue le procès avec les enfants dans tous les rôles, hormis celui de président, qui est tenu par un représentant de l’APCEJ.

Propos recueillis par Rémi Delahaye, professeur d'histoire-géographie dans les Hauts-de-Seine